ABSTRACT

Il peut paraître étrange d’évoquer la littérature à propos de Spinoza, alors qu’aucun de ses ouvrages n’y réfère. Se situant à tous points de vue dans la tradition philosophique classique, il se méfie de l’art; son intérêt se porte essentiellement sur la morale – cf. le titre de son ouvrage principal, l’ Ethique – et la manière la plus efficace de dominer les passions; cette morale il la fonde sur une philosophie de Dieu et de l’homme, qui débouche sur une philosophie politique. De l’esthétique il n’a cure; l’art est en effet au premier chef une question de formes; or ce n’est pas l’aspect formel des choses qui intéresse Spinoza, mais leur essence; les formes sont contingentes, l’essence est éternelle; tout l’effort existentiel de Spinoza porte sur un bien durable, à savoir la béatitude éternelle qui, parce qu’elle ne peut être une chimère, doit s’inscrire dans la logique de l’entendement. La joie suprême est indissolublement liée à la connaissance du vrai; la vérité est du ressort de la raison, de la logique, en fin de compte l’affaire des philosophes, et non des artistes, dont l’objectif est le beau, celui-ci étant inhérent à la forme – en latin, forme est d’ailleurs synonyme de beauté. Le spinozisme est une grandiose entreprise de rationalisation de la nature et du christianisme; dans le domaine religieux, il s’agit de dépersonnaliser Dieu, de le débarrasser des propriétés par trop humaines que lui a attribuées l’imagination; Spinoza anticipe en fait l’interprétation psychologique du christianisme, selon laquelle le Dieu personnel ne serait que l’affabulation d’une humanité en quête d’une valeur sécurisante. Aux yeux de Spinoza, l’imagination est l’ennemie de la raison, dans la mesure où elle nous fait appréhender les êtres et les choses tels qu’ils affectent les sens, et non tels qu’ils sont par essence; nous détournant de la vérité, elle est la source de nos égarements, de nos passions et, en fin de compte, de notre misère intime.