ABSTRACT

Il est significatif, dit-on parfois, que la rédaction du Traité politique s’interrompe précisément au chapitre XI: tout se passe comme si, écrasé par les apories d’un démocratisme inconséquent, Spinoza avait succombé à la tâche. Et, de fait, nous sommes bien en présence, sinon d’une contradiction, du moins d’un paradoxe apparent. Dans la Monarchie spinoziste idéale, le Conseil du Roi devait comprendre des représentants de toutes les catégories de citoyens, 1 mais il était précisé, sans justification aucune, que certains habitants ne pouvaient appartenir au corps civique: outre les étrangers, les repris de justice, les muets et les fous, s’en voyaient exclus les serviteurs et assimilés. 2 Dans l’Aristocratie idéale, à nouveau sans la moindre justification, les mêmes personnes se trouvaient privées au droit de poser leur candidature à l’Assemblée patricienne; 3 si les muets et les fous n’étaient phis mentionnés, sans doute faut-il admettre qu’il s’agissait là d’un oubli. Quant a la Démocratie idéale, dont on nous dit pourtant qu’elle va être étudiée sous sa forme la plus large possible, la seule chose que nous en apprenions finalement, c’est que les mêmes exclusions y sont maintenues à peu prés telles quelles; 4 celle des femmes et des enfants vient s’y ajouter, mais il est bien évident qu’elle était implicite dans les deux constitutions précédentes. Spinoza, cette fois, consent enfin à s’expliquer; il le fait même assez longuement à propos des femmes. 5 Mais son explication semble au premier abord si faible, si plate, d’un empirisme et d’un conformisme si étrangers à l’inspiration habituelle de la doctrine, que l’on croit comprendre à la fois pourquoi il avait tant tardé à nous la donner et pourquoi il n’a pu poursuivre: mauvaise conscience, pourrait-on penser; sentiment confus d’une irréductible discordance entre ce que les principes permettaient de déduire en toute rigueur et ce que des nécessités extra-philosophiques imposaient l’obligation d’en déduire. Le cas est banal, et beaucoup s’en accommodent; Spinoza, lui, aurait eu l’honnêteté de s’arrêter là et d’en mourir!