ABSTRACT

Le culte du bœuf était très répandu en Colchide et sur tout le littoral ouest de la Mer Noire. Il avait trouvé son reflet aussi sur la monnaie de Colchide, sur une face de laquelle est représentée une tête de bœuf. Ce culte n’a pas disparu à L'époque chrétienne. Il fut reporté sur St Georges, et, pour mieux dire, rataché à la fête de St Georges à L'église D'Ilori. Ilori est un grand village en Abkhazie, à deux kilomètres de la Mer Noire, entre la ville de Soukhoum et la petite ville de Rédout-Kali, à la frontière même de L'Abkhazie et du Samourzakhano. Sa population, 200 feux environ, est chrétienne, ainsi que tous les habitants de Samourzakhano. Leur langue maternelle est le mingrélien, mais ils parlent aussi L'abkhaze. Jadis, Ilori avec Samourzakhano entraient dans le domaine de la Mingrélie, et étaient soumis aux princes mingréliens. L'église ancienne D'Ilori, en L'honneur de St Georges, est une basilique de pierre, entourée d’un haut mur également en pierre. 1 Elle jouit d’une grande popularité dans toute la Géorgie occidentale. Sa fête patronale au 10 novembre ancien style, attire beaucoup de monde de l'Abkhazie, du Samourzakhano, de Mingrélie et de Svanéthie. Ce jour, d’après la tradition populaire s'accomplit le même miracle tous les ans, notamment, dans L'enceinte fermée de l'église est introduit, la veille, pendant la nuit, par un miracle de St Georges, un bœuf gras qu'on tue le lendemain pour en distribuer les morceaux de viande aux assistants, et pour en envoyer aussi partout. Cette viande est considérée comme un remède salutaire contre toutes les maladies; c'est pourquoi on la sèche et on la conserve pour toute L'année. La tradition de ce miracle remonte aux temps anciens. Il est évoqué par plusieurs auteurs, par exemple, par Chardin, par tsarevitch Vakhoucht, et par Lambert. 2 Ce dernier donne un récit intéressant de cette fête:

“Le vingt novembre (nouveau style) l'on fête le jour de St Georges. Il est répandu dans le peuple une superstition que ce jour, cet illustre martyr vole dans les environs un bœuf et l'amène, dans la nuit, à l'église d'Ilori qui est vouée à son nom. Cette église jouit d'une grande vénération non seulement chez tous les Mingréliens, mais aussi chez les peuples voisins. Aussi cet église est très riche en argent et en or: toutes ces icônes sont faites en ces métaux et parées des pierres précieuses. Même les portes en sont recouvertes des carrés d'argent. Cette église est vénérée par tout le peuple, de sorte que, bien qu'elle se trouve à un endroit éloigné, près de la mer, il n’y a pas à craindre qu’elle soit volée par quelqu'un ou qu'un bateau ennemi pille ses richesses. Tous ont une telle vénération pour ce saint que non seulement personne n'oserait emporter ses portes, mais, si même l'on dispersait, près d'elle, des pierres précieuses, personne n'oserait y toucher. Non seulement les habitants d'ici ont peur de ce saint, mais même les abkhaziens, voleurs adroits de par leur naturel, et les Turcs, complètement dépourvus de la lumière de la religion chrétienne, tous adorent ce Saint et en ont peur.

Cette peur provient principalement de plusieurs flêches, de très grande dimension, avec deux grandes pointes de fer, attachées aux murs de l'église. Les prêtres ont répandu dans le peuple le bruit que St Georges tuerait sans fautes avec l'une de ces flêches l'homme qui, par légèreté d'esprit, lui manquerait de respect et ainsi, par peur de la mort, personne n’ose piller cette église ou la souiller.

Le vingt novembre, le prince régnant, avec tous les nobles de sa cour et avec le peuple d'Odichi, 3 se rend à l'église d'Ilori pour assister à la fête du “bœuf”. Non seulement les habitants d'Odichi, mais même les Abkhazes et les Svanes viennent en grand nombre à cette fête. L'église du Saint est toute entourée d'un mur de pierre dont la hauteur est presque de quinze empans. A l'entrée se trouvent les grandes portes, sur lesquelles est bâti un magnifique clocher avec beaucoup de cloches. A la veille de ce jour, au crépuscule, le prince arrive à cheval devant ces portes avec sa suite dont les évêques, les princes et les nobles. Ayant donné l'ordre de fermer les portes à clef, il appose son cachet au trou du cadenas et revient chez lui. Le lendemain, avant la levée du jour, le prince se rend de nouveau, avec la même suite aux portes de la cour de l'église. Lorsque le prince et ceux qui l'accompagnent se convainquent que le cachet est intact et n'a pas été bougé de sa place, il l'enlève et ouvre les portes. A l'intérieur de la cour de l'église l'on trouve un bœuf. A la vue de ce miracle tout le peuple rend avec beaucoup de dévotion sa gratitude à St Georges d'avoir amené le bœuf. L'on sonne les cloches et dans tout le peuple se répand la joyeuse nouvelle que le bœuf a été trouvé. Tous sont fermement convencus que c'est St Georges en personne qui a amené la nuit le bœuf. On dit aussi que le Saint l'amène de la mer jusqu’aux montagnes et l'y ramène trois fois et laisse ainsi le bœuf sacré dans l'enceinte de l'église comme cadeau au peuple. Suivant l'état dans lequel on trouve le bœuf, le peuple fait des conjectures de toutes sotres. Si au moment où les prêtres s’efforcent de l'attraper, il rue ou donne des coups de cornes, on dit que cette année-là il y aura immanquablement une guerre. Si le bœuf est couché sur le dos et sali de terre, cela signifie bonne récolte de millet, de légumes et de blé. Si le bœuf est couvert de rosée, cela présage une bonne récolte de vin; s'il est de poil roux, cela signifie une forte mortalité des hommes et des bêtes; s'il est blanc ou tacheté, cela est considéré comme un très bon augure. Bien que ces augures se révèlent en réalité faux chaque année, les gens y croient quand même comme en évangile. Si quelqu'un voit qu'un de ces augures se justifie, il envoie immédiatement des gens de tous les côtés pour en aviser tout le monde aussitôt que possible, comme d'une affaire très importante pour tous.

Quand le bœuf est pris, on l'emmène en dehors de l'enceinte où il doit être tué par un habitant d'Ilori dont la famille est chargée depuis les temps anciens, de cette obligation et qui garde comme une relique sacrée, la hache avec laquelle le bœuf doit être tué. Cette hache n'est employé qu'à ces fins. L'homme qui tue le bœuf, le partage également: la plus grande partie, avec les cornes, en appartient au prince régnant; il ordonne de parer les cornes avec de l'or et des pierres précieuses et, au grandes fêtes, il boit dedans en l'honneur de St Georges. Une grande partie en appartient également au roi d'Imérethie. Bien qu'à ce moment le prince fût en hostilité et en guerre avec le roi, il lui envoya quand même sa part avec un homme spécial. Mais le roi d'Imérethie renvoya la viande ayant donné de riches cadeaux à l'homme qui l'avait apportée. Le prince se conduisit de la même façon avec le prince de Gourie. A beaucoup de familles anciennes d'Ilori en est attribuée aussi une certaine part. Tout ce qui reste, est coupé en morceaux et distribué au peuple. Cette viande fumée et conservée avec une grande vénération, est considérée comme le meilleur remède contre toutes les maladies. Bien qu’il soit rare que ce moyen ait une heureuse action, tous l'emploient, la vénèrent et la préfèrent à tous les autres remèdes.” 4