ABSTRACT

Tout le monde sait qu’après avoir vu réfuter la définition de la science qu’il avait proposée, «la science n’est pas autre chose que la sensation (aísthesis)» (151e2–3), Théétète, dans le dialogue qui porte son nom, en propose successivement deux autres, à savoir alethès dóxa (187b5), puis metà lógou alethès dóxa (201c9–d1). Dans les deux occurrences, Auguste Diès 1 traduit alethès dóxa par «opinion vraie», et Léon Robin 2 , par «jugement vrai». Consciemment ou non, ils reconduisent ainsi la divergence qui oppose sur ce point les deux premiers traducteurs français du Théétète, à savoir le jésuite Jean-Nicolas Grou 3 , vers la fin du XVIIIe siècle, et Victor Cousin 4 , sous la Restauration. Dans presque toutes ses occurrences, et en particulier dans les deux citées à l’instant, Grou traduit en effet dóxa par «opinion» 5 . Dans la traduction de Cousin, au contraire, le mot «opinion», constamment usité pour traduire dóxa dans toute la première partie du dialogue (jusqu’à 179c4), disparaît purement et simplement à partir de 187b4, où il 122est remplacé par «jugement». Le fait est d’autant plus chargé de sens que non seulement, comme il l’indique, Cousin a «eu sous les yeux» la traduction de Grou 6 , mais que, comme il l’indique plus explicitement pour d’autres dialogues, cette dernière lui a en réalité «servi de base» 7 : dans toute la première partie du dialogue, Cousin utilise, comme Grou, «opinion» pour traduire dóxa, et, chaque fois que Grou s’écarte de cet usage, Cousin en fait autant, et dans les mêmes termes. Le choix, donc, à partir de 187b4, de «jugement» à la place d’«opinion» manifeste une divergence délibérée de Cousin à son prédécesseur.