ABSTRACT

Cette contribution part de deux thèmes platoniciens récurrents: celui de la réincarnation et – pour reprendre le terme en usage chez les universitaires anglosaxons – celui de la «métempsycose», que Luc Brisson nomme de manière plus rigoureuse la «métensomatose». Le dixième livre de la République présente l’une des plus fameuses occurrences de ces thèmes:

Or, lorsqu’ils arrivèrent, dit-il, il leur fallut aussitôt aller vers Lachesis. Un porteparole les fit d’abord se ranger en ordre; ensuite, ayant pris sur les genoux de Lachesis les sorts et les modèles de vies, il monta sur une tribune élevée et déclara: «Parole de la fille de Nécessité, la jeune fille Lachesis. Âmes qui n’êtes là que pour un jour, voici le début d’un nouveau cycle qui vous mènera jusqu’à la mort dans la race mortelle. Ce n’est pas un génie qui vous tirera au sort, c’est vous qui vous choisirez un génie. Que le premier à être tiré au sort choisisse le premier une vie, à laquelle il sera uni de façon nécessaire. De l’excellence, nul n’est maître: chacun, selon qu’il l’honorera ou la méprisera, aura d’elle une plus ou moins grande part. La responsabilité revient à qui choisit; le dieu, lui, n’est pas responsable.

Après avoir dit cela, il jeta les sorts entre eux tous, et chacun ramassa celui qui était tombé près de lui, sauf [Er] lui-même: on ne le lui permit pas. Et quand il l’eut ramassé, chacun vit quel rang le sort lui avait donné. Après cela, il plaça alors sur le 140sol les modèles de vies devant eux, en beaucoup plus grand nombre qu’il n’y avait d’âmes présentes. Il y en avait de toutes sortes: des vies de tous les genres d’êtres vivants, et en particulier toutes les vies humaines; il y avait en effet parmi elles des tyrannies, les unes qui parvenaient à leur terme, et d’autres qui en cours de route allaient à leur perte et finissaient dans la pauvreté, dans l’exil, et dans la mendicité. Il y avait aussi des vies d’hommes réputés, les uns pour leur aspect, pour leur beauté, et en général pour leur force et leur aptitude aux compétitions, les autres pour leur ascendance et pour les qualités de leurs ancêtres, et des vies d’hommes dépourvus de réputation dans les mêmes domaines, et pareillement des vies de femmes aussi. L’ordonnance de l’âme n’y était pas incluse, parce que nécessairement, en choisissant telle ou telle vie, l’âme devait devenir différente. Mais les autres données de la vie y étaient mélangées entre elles et avec la richesse et la pauvreté, d’autres avec les maladies, d’autres avec la bonne santé, d’autres encore tenaient le milieu entre ces extrêmes. C’est bien là, apparemment, mon ami Glaucon, qu’est tout le risque pour l’homme, et c’est pour cela que chacun de nous doit surtout appliquer ses soins, en négligeant les autres connaissances, à rechercher et à apprendre cette connaissance-là, pour voir si elle le rendra à même de reconnaître et de découvrir la vie qui fera de lui un homme capable et avisé, qui sait distinguer entre une vie honnête et une vie malhonnête, pour choisir toujours, en toute occasion, la vie la meilleure parmi les vies possibles 1 .» [passage 1]