ABSTRACT

Bien que l’illusion du caractère autonome du littéraire, tout comme de l’art en général, naisse du projet émancipateur des Lumières, dans sa tentative d’établir une science, une morale et un art qui n’obéiraient, respectivement, qu’à la seule norme scientifique, éthique et esthétique, c’est seulement à une époque très récente que les études littéraires ont commencé à isoler leur objet d’étude. 1 Telle était la force de l’historicisme (dans ses différentes modalités) et de l’identification des études philologiques avec ses objectifs et ses méthodes de travail depuis la Renaissance européenne. Ainsi, c’est au XXe siècle — et sous l’impact exercé presque simultanément par le structuralisme linguistique, par la sémiotique et par le formalisme russe — que les études littéraires portent leur attention sur ce qu’on a appelé “la littérarité” ou sur les “formes” conçues comme structures, c’est-à-dire sur les principes de composition du “tout,” du texte, plutôt que sur les composantes de celui-ci dans leurs origines et leur développement historique. Sémiotique et philologie se retrouvent donc face à face dans leur premier contact, comme deux ennemies irréconciliables. La première se donne comme synchronie, système de signes organisé selon des axes d’opposition (comme la phonologie saussurienne); la seconde cherche la diachronie d’éléments isolés et dont l’étude ignore la totalité dans laquelle ces éléments s’inscrivent (comme la phonétique — toujours diachronique — de Saussure). Une opposition mal comprise et incontestée entre diachronie et synchronie 2 marque ainsi les premières étapes d’une rénovation des études littéraires à partir du modèle linguistique et dans le cadre de la sémiologie de la culture dont Saussure rêvait comme d’une science universelle, capable de rendre compte de tous les systèmes de signes grâce auxquels les humains communiquent entre eux. Abandonnant très tôt ce projet qui, parallèlement à des concepts comme “système” ou “structure” (de caractère plus ontologique), en reconnaissait d’autres plus sociohistoriques comme “communication” et “convention,” le structuralisme devient alors le grand défenseur de l’étude immanente du texte littéraire. Mais l’étude immanente, appelée synchronique, place le texte dans une atemporalité qui ne tient aucunement compte de cette “marque” que portent les éléments intégrés dans un “nouveau” tout ou texte, du simple fait d’avoir déjà appartenu à d’autres textes ou à toute une tradition textuelle. C’est pour cette raison que j’ai appelé ailleurs achronique cette approche qui ignore à la fois la tradition dans laquelle tout signe s’inscrit et les restrictions sélectives que la convention sociale lui impose. 3 Car cette approche isole le texte artistique de tout ancrage spatial, temporel et social, le transformant ainsi en une entité autosuffisante et autotélique. Pour ce faire, elle le réduit en outre, dans un scientisme néopositiviste, à sa matérialité (verbale) quantifiable et ignore la convention sociale au sein de laquelle fonctionne tout texte, que ce soit en reproduisant fidèlement des stéréotypes ou en les transgressant plus ou moins fortement, en tout cas en dialoguant avec la convention sociale.