ABSTRACT

L'expérience de l''entre-deux' des langues inaugurée dans sa pratique traduisante a fourni à Proust une clé stylistique à un problème qui était à l'origine lié à l'appréhension du réel. Le respect de l'intraduisible linguistique a été pour lui dépassement de l'incompréhension et volonté de préserver Yétrangeté de l'objet linguistique à traduire. Ce processus a eu lieu au moment même où, dans son développement intellectuel, le jeune écrivain 'à venir' éprouvait dans l'écriture toutes les complexités d'un dire qui est celui de la traduction du visible. En effet, au moment où Proust commençait à s'intéresser aux écrits de John Ruskin, d'abord publiés en extraits, et participant à un débat plus général sur la peinture anglaise, il rédigea, en 1895, un article sur les pastels de Chardin, qui montre clairement qu'il s'était très vite détaché de l'esthétique décadente. Surtout peut-être, cette 'petite étude de philosophie" indique que s'il embrasse en partie l'interrogation symboliste sur les limites du langage, il le fait déjà d'une façon très personnelle, en interrogeant spécifiquement le rapport entre le voir et le dire. Ainsi, ce que nous voudrions indiquer dans ce chapitre, c'est à quel point Proust, tout en conservant dans le personnage d'Elstir et dans sa théorie des 'illusions d'optique' l'influence du critique anglais qui fut le grand défenseur de l'œuvre de Turner, s'est détaché du théoricien de la peinture. C'est en partie parce que ce dernier a succombé à la tentation de transformer l'image en icône, ce dont Proust s'est très vite éloigné. En ce sens, ce chapitre rapporte un 'adieu' à Ruskin.