ABSTRACT

Le Dernier Jour d'un condamné, 1 publié d'abord en 1829, reste une des œuvres importantes de Victor Hugo, très appréciée de Dostoievski, 2 imitée par Camus, 3 admirée par des critiques contemporains tels que Lucien Dällenbach et Jean Rousset, 4 en partie pour ses techniques de narration qui d'une certaine manière préfigurent le nouveau roman de Robbe-Grillet et d'autres. Dans un autre registre, Michel Foucault et Robert Badinter ont loué l'ouvrage comme une critique efficace et exemplaire de la peine de mort. 5 Le texte, écrit tôt dans la carrière de Hugo, constitue un moment important dans son évolution, où il abandonne l'exotisme frénétique de sa première fiction pour traiter une situation contemporaine dans un récit à la première personne et en gros linéaire. Le texte n'est pas sans ses moments lyriques, et, malgré le sujet du livre, ces moments ne sont pas trop noirs. Un des personnages, Le Friauche, annonce Jean Valjean, et à bien des égards Le Dernier Jour évoque plutôt Les Misérables que les œuvres précédentes du jeune Hugo. Mais c'est aussi un texte qui pose des problèmes, et ses visées polémiques ont surtout provoqué la discussion. Déjà en 1883 E. Biré proposa qu'il s'agissait surtout d'une œuvre d'art et de fantaisie, fidèle au goût contemporain des crânes et du sang; ce n'est qu'après la Révolution de Juillet, avec la longue préface de 1832, que Hugo se lança dans la campagne contre la peine de mort. 6 Jugement qui étonne, car au chapître 6 le héros-narrateur dit explicitement que son but est de donner une leçon à ceux qui condamnent à mort. Gustave Charlier a longuement réfuté Biré en 1915. 7 Mais le point de vue de Biré se retrouve jusqu'à un certain point et de manière bien plus intelligente dans deux études récentes sur Le Dernier Jour. 24Marie-Claire Vallois y voit 'un texte écrit tout d'abord comme une "fantaisie" littéraire' qui 'se charge dans la deuxième préface d'une autre finalité, celle d'être plaidoyer contre la peine de mort'. 8 Et Victor Brombert estime que, même si Hugo lui-même, plus tard, considérait le texte de 1829 un argument contre la peine de mort et une preuve qu'il était déjà socialiste, en fait le roman révèle plutôt sa fascination pour la foule, la révolution, la guillotine, le meurtre; il est à cet égard peu politique, et même contre la politique. 9 Le jugement nuancé de Brombert souligne le jeu complexe chez Hugo des impulsions imaginaires et des convictions idéologiques. J'examine ici jusqu'à quel point Le Dernier Jour peut, ou doit, se lire comme texte polémique, en le situant dans le discours de l'époque sur la peine de mort, et en montrant comment et pourquoi il fait écho à ce discours, ou le refuse, le cache, le corrige, ou même en change le registre.