ABSTRACT

Les historiens, de l'art ou d'autre chose, organisent l'immense passé du genre humain qui se trouve à leur portée en distribuant des adjectifs modificatifs de tout ordre aux mots “histoire” ou “art”. Ces modificatifs peuvent être géographiques (l'art africain), religieux (art chrétien ou bouddhique), nationaux (art irlandais) typologiques (art profane ou ornemental), chronologiques (art moderne ou du 16ème siècle), et puis toutes sortes de combinaisons que l'on pourrait appeler culturelles (art roman, gothique ou baroque). Une de ces catégories est dynastique, avec, comme toute catégorie, toute une série de présupposés, sinon préjugés, conscients ou non, sur lesquels je reviendrai plus d'une fois dans le courant de cet exposé. Il est, par exemple, assez curieux qu'une distinction dynastique dans l'art de l'Europe occidentale est normale pour le Haut Moyen Age (arts mérovingien, carolingien ou ottonien), mais semble réservée pour les époques plus récentes aux arts dits mineurs et pratiques (mobilier Restauration ou chaise Louis XV). Les distinctions dynastiques sont plus fréquentes pour Byzance (la “renaissance” macédonienne ou la peinture des Paléologues) et la Chine (art des Tangs si différent de celui des Sungs), mais dans les deux cas on peut faire valoir une histoire culturelle continue dans un espace nettement délimité et gouverné, du moins dans le cas de l'instance byzantine, à partir d'un centre bien établi. Ce n'est certainement pas le cas pour le monde islamique après les Omeyyades avec leurs nombreux monuments préservés et avant la grande séparation en orbites dynastiques ou pseudo-dynastiques (je pense aux Mamlouks) qui suivit l'invasion mongole. Et pourtant on parle d'art tulunide, aghlabide, samanide, seljuq, même s'il n'y a parfois qu'un seul monument ou oeuvre d'art associé à cette dynastie. C'est comme si le caractère du pouvoir en place, en général celui d'une famille, détermina la nature d'un art. Et la première question qui se pose ainsi est la suivante: est-il juste de définir un art par le rappel du nom d'une dynastie régnante? Ou peut-être faudrait-il poser le problème d'une manière différente: y a-t-il un art qui formerait un ensemble cohérent de sujets, formes et expressions et dont la présence coïnciderait avec celle de l'autorité politique et culturelle des Fatimides? Et puis, si l'historien des arts peut en effet préparer un tel inventaire de choses clairement datées et localisées et en déduire une définition d'un art différent de ce qui aurait été créé à la même époque mais dans d'autres régions du monde musulman, est-il juste et légitime d'en attribuer la responsabilité sinon aux princes de la dynastie, tout au moins à un climat social et culturel que ces princes auraient, volontairement ou non, rendu possible?