ABSTRACT

Peter Brown a fort bien perçu que si, en règle générale, un auteur est le produit et le reflet de la culture et de la mentalité de son temps ainsi que de son milieu social, cette constatation ne vaut pas pour un génie tel Augustin, poursuivant une pensée personnelle, exigeante et originale, souvent à contre courant des idées reçues dont se contentaient ses contemporains, ce qui lui valut d’être souvent mal compris, dès son vivant et aussi dans la postérité. C’est un exemple de cette originalité augustinienne que nous donne l’une des lettres inédites découvertes et publiées par Johannes Divjak, et qui a été assez peu commentée.1 Dans cette lettre Divjak 29*, on voit Augustin critiquer la floraison de récits hagiographiques édifiants et pittoresques, où se donnait libre cours l’imagination des auteurs, et louer des récits de martyres établis d’après des documents contemporains rigoureux, offrant toutes les garanties de l’authenticité. Si l’on ne craint pas l’anachronisme, on pourrait dire en forçant le trait que se révèle ici un aspect positiviste d’Augustin. Dédier ces réflexions à Peter Brown peut paraître paradoxal, car son œuvre a mis en lumière avec prédilection les représentations imaginaires des hommes et des femmes de l’Antiquité tardive, dont les légendes hagiographiques sont une illustration particulièrement expressive. Certains ont d’ailleurs reproché à Peter Brown d’avoir nié l’importance des événements politiques et militaires, d’avoir négligé l’histoire des structures sociales et économiques, et d’être en quelque sorte l’idéologue d’une ‘nouvelle histoire’ de l’Antiquité tardive, récusant toutes les autres approches passées et actuelles.2 Cette polémique me semble extrêmement injuste. L’œuvre de

1 Epistolae ex duobus codicibus nuper in lucem prolatae, ed. Johannes Divjak, CSEL 88 (Vienne, 1981), pp. 137-8; Œuvres de saint Augustin (Bibliothèque Augustinienne) 46B (Paris, 1987), pp. 414-17. Un commentaire savant et précis a été donné par YvesMarie Duval, dans les notes complémentaires de cette édition (Œuvres 46B), pp. 573-80. Il propose de dater cette lettre vers AD 412, soit l’époque où Paulin, résidant en Afrique, a écrit à la demande d’Augustin sa Vita Ambrosii.