ABSTRACT

Les classes spéciales pour les enfants en difficulté scolaire sont une invention du tournant du XIXe au XXe siècle et une conséquence de l’expansion des systèmes d’éducation publique dans les pays dits les plus développés, en Europe et en Amérique du Nord. Les différences individuelles entre les enfants, du point de vue de leur développement intellectuel et socio-moral, devenaient plus visibles dans les grands établissements scolaires, mis sur pieds à la fin du XIXe siècle pour favoriser l’accès à l’éducation publique et garantir la modernisation de la gestion des politiques sociales d’État. D’après les suggestions des éducateurs et des professionnels liés au domaine de la santé – médecins, psychologues, psychopédagogues – les classes spéciales obéissaient au modèle de normalité-anormalité issu des pratiques médicales et asilaires. Les “anormaux” scolaires, inadaptés à l’école, sont les enfants qui vont être éduqués dans ces classes spéciales, avec des méthodes spécifiques, développées soit par des médecins, soit par des pédagogues ou pédo-psychologues.1 Certains auteurs, comme le médecin et psychologue genevois Édouard Claparède ou le psychologue brésilien Lourenço Filho, importants leaders du mouvement de l’Éducation nouvelle, considéraient les classes spéciales et, plus

1Sur l’histoire des classes spéciales, voir Martine Ruchat, Inventer les arriérés pour créer l’intelligence: L’arriéré scolaire et la classe spéciale – Histoire d’un concept et d’une innovation pédagogique (Berne: Peter Lang, 2003); pour une histoire de la formation des enseignants aux méthodes actives dans l’éducation spécialisée “pour l’enfance déficiente ou inadaptée” voir Jacqueline Roca, “La formation de maîtres spécialisés, un terrain d’expérimentation pour l’Éducation nouvelle 1930-1964,” in Réformer l’école. L’apport de l’Éducation nouvelle (1930-1970), ed. Laurent Gutierrez, Laurent Besse et Antoine Prost (Grenoble:

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généralement, le groupement des élèves par niveau intellectuel dans les écoles, comme l’une des innovations les plus importantes de la pédagogie moderne. Ce groupement serait compatible avec l’idée d’une “école sur mesure” (comme le préconisait Claparède) qui devrait adapter les activités et programmes éducationnels aux différences individuelles et aux caractéristiques psychologiques singulières des élèves.2