ABSTRACT

En Occident, les penseurs de la Renaissance ont diversement situe l'alchimie dans l'ensemble des savoirs de cette epoque du XV· au XVII" siecle, consideree comme l'age d'or de l'art hermetique. Classee comme art operatoire ou discipline theorique, l'alchimie comporte aussi une incertitude en ce qui conceme sa finalite, it savoir la fabrication de l'or (aurifaction) ou la vocation therapeutique. 1 En Asie, l'ancienne chimie indienne (rasasiistra) comprend dans sa partie positive, classique, les arts chimiques (pharmacie, metallurgie), alors que par ses aspirations speculatives, baroques, elle cultive Ie bithematisme recurrent dans l'histoire de l'alchimie: transmutation des metaux imparfaits (dhiituvada) et recherche de la mooecine universelle, qui est it la fois panacee (sarvarha) et elixir de longue vie (rasiiyana). Auxiliaire de I' Ayurveda comme pharmacie empirique aux temps anciens, Ie RasaSastra devient it l'epoque mooievale une 'iatrochimie', anterieure it la 'chimiatrie' paracelsienne de la Renaissance. 2

Les incertitudes qui entourent les origines de l'alchimie indienne - supposees etre marquees par certains apports chinois3 - et Ie developpement post-gupta de ses pratiques rendent malaisee la recherche historique en ce domaine, comme pour tant d'autres savoirs indiens. De ce fait, tout filon

culturel doit etre exploite dans la mesure oil il est susceptible d'eclairer I 'histoire lacunaire du RasaSastra. A ce titre, meritent attention, en raison de leurs nombreuses notations alchimiques, les legendes concernant Ie lieu saint de SrIsailam (SrIgiri, SrIparvata) et les portes-sanctuaires de son approche, notamment celle d' Alampur. 4

Dans cette region de pelerinages du pays Andhra, privilegiee pour les sivai'tes, certains textes du RasaSastra (AK, RRA) decrivent des pratiques alchimiques, alors qu'aux XIV' et XV' siecles, les litteratures dravidiennes, principalement les sources telugu, abondent en elements relatifs a l'imaginaire de l'art transmutatoire. Ces donnees refletent les enseignements des mouvements siddhas et niitha(yogal, qui se manifestent a l'epoque en tant que composantes du tantrisme en Andhra et ailleurs au Dekkan, et meme audela. En effet, Ie phenomene est observable aussi au Gujarat, dans l'Inde occidentale, marquee par Ie rasesvara-darsana et oil Ie recueil jaina Vividhatfrthakalpa du XIV· siecle donne du mont Girnar l'image d'un lieu saint alchimique, dont la description affabulatrice enrichit l'imaginaire indien. 7

Evoque en Andhra au culte quotidien, lors de la formule du desakdloccdraTJa / smhkalpa, prononcee par les devots hindous, Ie lieu saint de SrIsailam est aussi magnifie pour les merites acquis aux pelerins qui s'y rendent pieusement. A partir des epopees on retrouve ce tfrtha sivalte mentionne dans les litteratures indiennes, qui laissent parfois percer un climat tantrique a SrIsailam, marque par la presence d'ascetes kiipiilika (MiilatUniidhava).8 Ce centre de pelerinage, oil Nagarjuna aurait, selon la tradition, fonde un laboratoire alchimique (Rasendramaligala) , est aussi une source de recits invraisemblables (Kiidamban1 et un lieu oil fleurissent des procedes magiques (Ratniivall).