ABSTRACT

L’homme qui tâte ses chaussettes durcies par la sueur de la veille et qui les remet

Et sa chemise durcie par la veille Et qui la remet Et qui se dit le matin qu’il se débarbouillera le soir Et le soir qu’il se débarbouillera le matin Parce qu’il est trop fatigué… R.DESNOS*

J’écoutais la pluie. Elle tombait sur le coude en zinc de la gouttière, juste sous la fenêtre. Il pleuvait depuis une semaine. J’étais arrivée vingt jours plus tôt et le gérant en lisant ma fiche d’inscription avait ricané: « Ah! vous êtes du pays de la pluie. » Je n’avais vu Paris que noyé, luisant d’eau, bas de ciel. Dans un petit périmètre autour de la fenêtre, la chambre était claire. Le lit, recouvert d’un velours marron qui en cachait les pieds de fer, assombrissait l’angle à gauche de la porte. Deux étages plus bas, Lucien et d’autres discutaient de mon sort. J’attendais. Les gouttes s’écrasaient sur la dalle. J’allai vers la table de nuit et branchai le tourne-disque. Je le réglai pour que la musique en sortit doucement. C’était une chanson portugaise dont Lucien m’avait traduit le titre « Quand se lève le vent ». J’en aimais le début tremble et syncopé. Qu’allaient-ils décider? Je m’assis sur le lit. La trêve allait prendre fin. Ils voulaient récupérer la chambre et je n’avais pas envie de la quitter. Ils discutaient sans moi. La pluie venait de s’arrêter. J’ouvris la fenêtre et me penchai. Ici, il n’y avait pas d’arbre, pas de végétation, rien que des lignes sèches, entrecroisées, parmi lesquelles s’étiraient des fumées noires ou blanches. Ce paysage avait quelque chose de désolé qui me touchait au cœur. L’hôtel dépassait de beaucoup d’étages les maisons voisines. Le

soir, à l’heure de la brume et des réverbères, la chambre me paraissait suspendue, flottant dans un univers irréel un peu effrayant.