ABSTRACT

93 Norte siècle est fort eclairé, mais il n’en est pas plus equitable à l’egard des grands Hommes. Quoiqu’il leur doive ses plus belles lumieres, et qu’il en profite heureusement, il ne peut souffrir qu’on en * loue, soit par envie, ou par ignorance; et il est surprenant qu’il se faille cacher pour ecrire leur vie, comme on fait, pour commettre un crime; particulierement si ces grands Hommes sesont rendus celebres par des voies extraordinaires, et inconnues aux ames communes. Car alors sous pretexte de faire honneur aux opinions receues, quoiqu’ absurdes et ridicules, ils defendent leur ignorance, à quoy ils sacrifient les plus saines lumieres de la raison, et, pour ainsi dire, la verité meme. Mais quelque risque que l’on courre dans une carriere si epineuse, j’aurois bien peu profité de la Philosophie de celuy dont j’entreprens d’ecrire la vie, et les maximes, si je craignois de m’y engager. Je crains peu la furie du peuple, aiant l’honneur de vivre dans une Republique qui laisse à ses Sujets la liberté des sentimens, et ou les souhaits meme seroient inutiles pour etre heureux, si les personnes d’une probité eprouvée y etoient veües sans jalousie. Que si cet ouvrage, que je consacre à la memoire d’un illustre amy, n’est pas approuvé de tout le monde, il le sera pour le moins de ceux qui n’aiment que la Verité, et qui ont quelque sorte d’aversion pour le vulgaire impertinent.